Plans sociaux : Une histoire de charrette
22 octobre 2013 • Lien au travail • Lecture : 4 minutes • par Roland Guinchard
Le traitement social du chômage commence par le traitement psychologique du lien au travail
Les circonstances actuelles des plans sociaux dans l’agroalimentaire de Bretagne me renvoient au souvenir de ma première mission en entreprise, il y a 20 ans, dans un secteur très touché à l’époque : la conserverie.
Cela s’appelait, fort délicatement, une « charrette » qui consistait à « accompagner » 60 ouvrières vers une sortie définitive, avec la maigre consolation d’une indemnité rachitique, une rapide préparation à la recherche d’emploi et l’offre de se partager 3 postes de caissière dans le supermarché de la ville voisine.
Je me préparais à trouver le moyen d’arbitrer l’empoignade prévisible pour ces 3 petites places de survie mais la difficulté fut tout autre : parmi ces femmes, aucune ne voulut se préparer à la recherche d’emploi, aucune ne revendiqua la possibilité d’occuper un des postes de caissière.
Avec effarement, je constatais qu’elles considéraient leur minuscule indemnité comme des congés payés et le temps de formation comme l’occasion de parler d’elles.
Pour comprendre cet étrange attitude, je fus prompt à mobiliser l´idée reçue du processus de deuil de l’emploi, réputé démarrer par un fort déni de la réalité. J’y ajoutais, touche personnelle, le deuil de l’identité culturelle du milieu de la pêche.
Mais en fait, si la nostalgie d’un temps révolu était bien présente, la conscience de la réalité de perte d’emploi était très forte et le deuil était déjà fait depuis longtemps.
La question de l’emploi était prématurée, celle du deuil, dépassée.
Quel était le problème alors ?
Pour ces femmes, si la question de leur emploi ne se posait pas, c’est que s’imposait une question plus profonde : auraient elles envie à nouveau de créer encore la forme d’un investissement professionnel différent ?
Plus que d’une formation elles voulaient seulement user de cette dramatique mais exceptionnelle possibilité de se situer une nouvelle – ou première – fois vis à vis de leur lien au travail, de redéfinir sans apriori leur identité professionnelle.
Cette histoire me renvoie aujourd’hui à la question des plans sociaux et du traitement social du chômage qui fait l’erreur de proposer beaucoup trop vite reconversion, projet, voire emploi, sans jamais financer pour quiconque la possibilité d’une écoute pourtant absolument indispensable, visant à ré identifier : désir de travail, lien au travail et identité professionnelle.
C’est toujours après coup que tous, financeurs et personnes concernées, se rendent compte que cela aurait pourtant été nécessaire et efficient.
Construire, proposer et utiliser les outils de cette écoute particulière est la tâche à laquelle se consacre entre autres, Workcare.