La souffrance psychique au travail
23 mars 2015 • Psychologie • Lecture : 6 minutes • par Roland Guinchard
Sommaire
L’urgence des corps
Mais pourquoi aujourd’hui parle t-on tellement de risques psycho sociaux et de burn-out ?
Ces phénomènes de souffrance psychique au travail ou d’épuisement professionnel, existaient depuis l’apparition du travail salarié.
Un point sur l’histoire
Au 18ème siècle, période de cette naissance, on peut situer l’inaugural de la situation de distanciation entre l’effort et le produit, que nous connaissons aujourd’hui presque tous. Cet écart laisse le doute et l’anxiété envahir l’esprit. Il est donc certain que cette souffrance psychique liée au travail existait déjà. Ces phénomènes ne portaient pas le même nom, et, surtout, ils étaient dissimulés.
D’abord parce que la question de la souffrance du corps avait tendance à les masquer. Les conditions physiques de travail présentaient un caractère nettement plus vital et urgent. C’est un peu moins le cas aujourd’hui.
Bien sûr la préservation du corps et de la santé au travail nécessite encore des efforts. Le scandale de l’amiante n’est pas si loin, et beaucoup de négligences, parfois partagées, existent. De même, on ne peut pas oublier que l’esclavage est une pratique répandue, ni que la vie des travailleurs ne pèse pas lourd dans de nombreuses mines à travers le monde.
Cependant la question de la préservation du corps au travail fait l’objet d’un consensus graduel dans nos sociétés : ne pas protéger la santé des travailleurs devient, enfin, peu à peu, moralement inacceptable.
Le collectif social
L’urgence du « collectif social », a eu le même effet de masque. La préoccupation de ce qu’un individu souffre n’avait pas à mettre en retard la visée collective pour le progrès des conditions de travail. C’est ce qui a été fait dans l’ensemble.
La baisse de crédit des syndicats n’est pas seulement lié à leur incurie ou à leurs tentations d’embourgeoisement mais au fait que grâce à eux, les travailleurs ont appris à s’appuyer sur l’organisation finalement mise en place dans la loi et le système social, plutôt que sur le combat qui l’a autorisé, sur le groupe de proximité ou la solidarité : la dignité du travailleur devient, heureusement, peu à peu un principe qui imprégnera toujours davantage (espérons le) la façon de penser la société.
C’est une belle réussite pour les défenseurs des travailleurs d’avoir permis de s’affranchir de l’aléatoire de la morale spontanée pour s’appuyer sur le bon droit, même si ça ne marche pas à chaque fois (la vigilance reste de mise). Bien sûr, affectivement parlant, imaginairement parlant, il est nécessaire de pouvoir bénéficier aussi du regard compatissant du collègue ou de l’indignation du représentant plutôt que sur la bonne application du règlement.
Cependant il semble qu’aujourd’hui l’épaisseur des volumes contenant le droit social (et la nécessité apparemment paradoxale, de les amincir) soient devenus signe de ce que les travailleurs n’aient plus besoin d’être en classe, ni en guerre pour exister comme catégorie simplement moyenne, de droit, garantie presque sans « lumpenprolétariat ».
Diminue donc l’intensité de l’urgence au travail pour les corps (physique et social). La souffrance psychique, attendant son heure depuis 250 ans, peut enfin se dire. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Crise de foi
Il y a une autre raison pour que l’on parle aussi souvent de risques psycho sociaux et de burn-out.
Le lieu de la souffrance psychique
Si la souffrance psychique liée au travail a sans doute toujours existé, elle ne se disait jamais dans l’entreprise, mais en d’autres lieux. Elle se disait dans les nombreuses institutions sociales qui étaient chargées entre autres tâches, de sa régulation.
La famille traduisait cette souffrance au travail comme signe de l’effort pour survivre, l’école comme prix de la nécessité pour progresser, l’université comme coût de l’espoir d’accès à l‘information, l’armée comme preuve de l’accomplissement du devoir, l’église comme salaire de la rédemption, l’idéologie comme indication de la valeur d’un combat pour une cause.
Et chaque fois, l’espoir de la progression favorable de la technologie, des ressources, d’un monde meilleur, des lendemains qui chantent, des grands jours, de la stabilité par la domination et le règne d’une seule espèce, de la victoire de la technologie sur la nature, permettait de maintenir la croyance en la nécessité d’accepter la souffrance psychique au travail comme inéluctable et nécessaire au progrès global
Ces croyances constituaient le sens même du travail, annihilant de fait l’intensité des douleurs morales créées par lui.
Les piliers s’effondrent
Et voilà que les piliers de cette croyance protectrice ne tiennent plus leur rôle sociétal :
- la famille doute sur le message de travail à transmettre à des enfants qui ne peuvent plus les croire,
- l’école est le lieu de tous les doutes et de l’incompétence notoire d’adaptation au monde;
- l’université et les grandes écoles ne sont plus là que pour préserver paresseusement ou peureusement des élites obsolètes;
- l’armée n’est plus qu’une arme de destruction perfectionnée;
- la religion, un dogme incohérent ou une secte en combat avec d’autres,
- l’idéologie une parole creuse; le progrès technologique la source de toutes les inquiétudes « Hiroshi-Tchernobi-Fukushimiennes »
Loin de tout catastrophisme, gageons que cette situation est normale, le progrès nous obligeant à perdre puis à reconstruire en permanence toutes nos valeurs. Disons que nous sommes en plein dedans, au creux de la période, et que nous saurons réfléchir, et tenir bon en attendant « Pâques et la renaissance».
Pendant ce temps la souffrance psychique au travail surgit comme douleur individuelle pure, signe d’un fading de sens social. Jamais il n’y a eu autant de sécurité, de préservation des corps et des droits des personnes au travail dans les sociétés occidentales. Jamais non plus il n’y a eu autant de discours et de symptômes de la douleur psychique au travail.
La question initiale persiste : pourquoi parlons-nous autant de la souffrance au travail et du burn-out aujourd’hui ?
L’accélération du monde a vidé le travail de sa dimension symbolique, nécessitant une redéfinition des paradigmes. Nous sommes au creux d’une période de transition, où les valeurs traditionnelles s’effondrent, nous obligeant à repenser notre relation au travail.
Il est temps de reconstruire un nouvel imaginaire du travail, où la souffrance ne sera plus tolérée et où les aspirations individuelles, les valeurs communes pourront être partagées dans la quête d’une aventure collective.
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