Je connais mon boulot quand même !
14 décembre 2023 • Identité Professionnelle • Lecture : 3 minutes • par Roland Guinchard
…et autres petits symptômes narcissiques de l’identité professionnelle.
Je connais mon boulot !
« Je connais mon boulot quand même ! » et sa variante « il/elle ne va pas m’apprendre mon travail » … qui n’a jamais entendu, prononcé en prenant à témoin ou marmonné cette phrase prononcée sous le coup de la colère, de l’indignation, de la révolte, ou de la frustration.
La confiance en soi professionnelle peut parfois être mise à l’épreuve que ce soit par un collègue, par des conseils techniques ou encore un supérieur. Un sentiment plus caché, mais tout aussi répandu, est celui de l’imposteur c’est à dire la crainte (souvent illégitime) de n’être pas à la hauteur de la situation professionnelle, ou de la fonction occupée.
Tout le monde a eu l’occasion de découvrir avec surprise le doute constant d’autodidactes les plus compétents, ou de multi diplômés continuant à être insécurisé.
Un des symptômes de cette crainte de manque de légitimité est la vérification minutieuse de la place accordée à son propre nom dans l’organigramme ou sa place dans la grille de qualification. Tout cela n’a d’égal que le sentiment de fierté et la satisfaction éprouvés à percevoir que l’on est – et que l’on est reconnu comme – un bon professionnel, un excellent spécialiste.
La susceptibilité.
Chacune de ces situations quotidiennes, chacun de ces comportements, ou de ces « éprouvés intimes » ont un point en commun, ils mobilisent de façon forte la SUSCEPTIBILITÉ, cette disposition que nous pouvons tous avoir à se sentir offensé par la moindre atteinte à l’amour-propre. Or il est certain que lorsque la susceptibilité est présente, elle est la manifestation d’un mécanisme ancien et très profond dans la constitution de l’individu : le narcissisme.
Le narcissisme.
Il ne s’agit pas seulement du caractère visible, de la belle image dans l’idéal du moi liée à la promotion, au pouvoir accru, à la carrière ou au statut prestigieux, mais surtout de la mobilisation du narcissisme primaire. Ce dernier structure de façon précoce et inconsciente chez tout individu l’essentiel de la conscience de « soi-dans-le-regard-des-autres » et son identification à ces mêmes autres.
La susceptibilité propre au travail dont nous relevions quelques signes à l’instant, donne par sa réactivité extrême, l’indice d‘une mobilisation du narcissisme primordial dans le champ professionnel. En surface ces petites histoires ont l’air d’une « simple » vexation, ou d’une fierté « innocente et bien naturelle », mais en profondeur il se pourrait bien que cela touche à l’essence même de l’être social porté par chacun.
L’identité professionnelle.
Chaque personne est la somme de ses expériences, de son rapport aux études, au travail, il se construit aux travers de celles-ci.
La concrétisation de ces mécanismes apparaît dans le concept « d’identité professionnelle » qui est « l’organe psychique » chargé de réguler la construction de l’individu dans son rapport à l’autre sociétal.
Tout cela se joue dans le domaine du travail, de façon essentielle et vitale.
C’est bien une question d’existence.
Les « petites histoires de boulot ne sont pas rien ».
La leçon à en tirer c’est qu’il faut prendre très au sérieux les signes d’existence de l’identité professionnelle et de ses atteintes éventuelles.
On comprend alors mieux à quel point des promesses non tenues, des remises en cause pouvant sembler anodines peuvent « inexplicablement » entrainer le désespoir des employés à qui on les a faites. On comprend comment et pourquoi un mode de management ignorant de ces choses peut entrainer une « panique » suicidaire ou dépressive dans toute une grande entreprise.
On saisit surtout les raisons pour lesquelles le terme de harcèlement est si étonnamment et rapidement dégainé chaque fois qu’une remarque professionnelle est lâchée, même atténuée et justifiée.
Les paradoxes.
On découvre également pourquoi des conditions de travail difficiles, un manque total de convivialité ou une rémunération médiocre n’entraînent pas forcément du découragement : si l’identité professionnelle est préservée par un discours clair et un projet intéressant, celle-ci demeure un soutien personnel extrêmement solide.
On comprend alors comment un avis, même sévère, sur le travail de quelqu’un peut avoir des effets positifs sur l’engagement, dès lors qu’il s’agit d’une parole juste, ouverte à la reconnaissance des progrès.
On peut percevoir enfin pourquoi le bonheur au travail n’est jamais à rechercher autant que le simple respect de l’identité professionnelle, qui serait la condition même du bonheur professionnel, s’il y en a un.
Le respect de l’identité professionnelle n’est pas constitué par la « gentillesse » à l’égard de celui qui travaille, mais par la reconnaissance authentique de ce que son lien au travail est fondamental et identitaire.
(Cela dit, la gentillesse ne gâchera rien).
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