Relation professionnelle : Être « clair » avant d’être « gentil » ?
29 juin 2023 • Management • Lecture : 4 minutes • par Roland Guinchard
Au travail en général, il convient d’être le plus clair possible sur les consignes, la nature de la relation professionnelle, bien avant de s’autoriser à être proche, accueillant, personnel, accessible ou « sympa ».
L’anxiété : une composante permanente, inconsciente, et normale.
L’ANXIETE est une composante permanente, inconsciente, et normale de l’énergie humaine appelée « Désir » (de vivre). Dans toute relation interhumaine (et relation professionnelle) ce « Désir » contiendra pour fonctionner une part d’agressivité/violence, et une part d’anxiété/angoisse chargée de la réguler.
Cette dernière possèdera donc l’effet non négligeable de réguler la partie agressive, pour ne laisser s’exprimer que la partie constructive du « Désir ».
Désir, Agression et Angoisse sont trois aspects qui préservent et maintiennent en équilibre la nature sociale et relationnelle de l’humain. On sait à quel point ce trio reste instable et demande sans cesse à être rééquilibré.
La survie de l’espèce en dépend. Une des règles qui en découle c’est qu’on doit en permanence organiser la limitation de la violence si on veut préserver l’espèce. (Il semble que cela restât encore difficile en plusieurs points du monde).
Peut-être est-ce plus facile ou un peu plus simple, localement, dans le domaine du travail qui est censé réaliser les moyens de la perpétuation de l’espèce.
Dans ce domaine du travail, les actions nommées aujourd’hui « entrepreneuriales » ou « managériales », révèlent qu’il faudra pouvoir nommer clairement l’objectif et l’organisation de tout groupe social de travail, y respecter clairement l’humanité de l’humain, et y accepter les particularités de ce « Désir » de travail, afin de pouvoir faire de telle sorte que collaboration et non-agression en deviennent des modalités plus habituelles.
Ce que résume en titre la formule : « Il faut être clair avant d’être gentil ». Qui devrait aussi être appliquée au management quotidien, de quelque entreprise que ce soit, quelle qu’en soit la forme.
Un peu d’anxiété est nécessaire, trop d’anxiété est délétère.
Pour la plupart des personnes, les normes sociales contractualisées et l’apprentissage progressif de la culture du lieu où ils exercent suffisent à réguler assez rapidement l’anxiété normale de la relation de travail. Dans le domaine professionnel, c’est l’explicitation, renouvelée des règles qui permettra de structurer et de réguler les relations professionnelles. (Contrats, règles, règlements, accords, réunions, etc..)
Tout change si des règles viennent à manquer, ou à être excessives. L’anxiété prend alors un peu trop de place ». Dès lors on peut voir apparaître des mécanismes de défense excessifs, variés : le repli, l’agitation, la stupeur, la fuite, la colère, la confusion, la maladie… etc… source de nombreux dysfonctionnements.
Certaines personnes voient leur anxiété naturelle, excessivement alimentée par la situation de travail. Cette inquiétude va déborder, brouiller ou obscurcir, systématiquement de nombreux aspects de leur relation au travail. Ceux-là ont besoin (plus que n’importe qui d’autre,) de voir cette anxiété être « calmée » plus souvent que d’autres, plus souvent que nécessaire. Des médicaments ne permettraient que de masquer le problème.
Plus simple pour l’entreprise serait de faire ce qui est nécessaire à l’obtention d’une ambiance du travail équilibrée : une analyse régulière (annuelle) des déterminants de l’ambiance de travail vérifiant les conditions et règles d’exercice, les lois de relations ou les intentions des interlocuteurs… afin de ne pas hésiter à en reformuler les détails quand c’est nécessaire, ou encore ne pas hésiter à les travailler, à en discuter la faisabilité, en situer les limites.
La réglementation en impose quelques-uns comme loi commune (cf. le code du travail national et les amendements européens), mais la spécificité de leur mise en œuvre dans l’entreprise, (dans les services, dans les équipes, ou auprès des personnes) en réclame une adaptation toujours plus fine. Cette dernière, agie, annuellement permettrait de mettre en œuvre et d’assurer la justesse des modifications.
Tout ce qui est évident est, évidemment, à …reformuler !
Les managers qui se trouvent être gestionnaires de ces situations hésitent à les éclaircir au nom de l’évidence, ou de l’économie de temps. « Je l’ai déjà dit, je ne vais pas le répéter, on n’a pas le temps, c’est évident.
Or, pour les personnes dont l’anxiété est importante, peu de choses sont évidentes. Et toute porte entrouverte aux ambiguïtés, aux possibles, aux doutes, à l’incertitude, réactivera instantanément leurs modes de défense spontanés et excessifs. Celui-ci est basé sur un modèle infantile oublié qui les pousse à des comportements agaçants (toujours), exaspérants (rapidement), insupportables (parfois).
Rappeler le cadre et l’organisation.
Pour gérer les comportements, l’attitude d’un manager à l’aise avec son rôle le poussera à fournir régulièrement un cadre et une organisation, limitant ainsi, presque sans y penser, l’anxiété excessive de chacun dans l’équipe.
Cependant, dès qu’il s’agit de gérer la relation professionnelle avec des personnes plus difficiles, plus compliquées, plus inquiètes, fournir un cadre « un peu plus systématique, de façon plus constante » deviendra indispensable, adopter des attitudes qui visent à clarifier, éclairer, orienter plutôt que chercher toujours à être trop « gentil, » trop à l’écoute, ou acceptant.
Au sein de la relation managériale, pour fournir un environnement qui fonctionne, il faudra avec les personnalités anxieuses rester dans un mode peu affectif, « un peu raide » ou distant. C’est sans doute la moins mauvaise des solutions.
Cette réserve particulière ne doit pas être devenir « froide et négative », mais comprendre explicitement le rappel de la règle, du cadre, des intentions. Cela constituera pour ces interlocuteurs parfois dits « difficiles » une limitation des malentendus névrotiques excessifs qui les rend inquiets. Tous les autres en profitent également.
La nature de la relation
C’est sur la nature de la relation et des règles qu’il faut rester clair et distant.
Pour chacun d’entre nous, il arrive que l’affectivité – sympathie ou antipathie – brouille quelque peu les cartes des relations professionnelles. Cela se gère habituellement spontanément, en faisant « la part des choses ».
Pour une personnalité « plus inquiète » ou plus difficile ce brouillage sera constant, toujours important, et la bonne distance toujours plus difficile à évaluer, à maintenir, à retrouver.
Pour cette raison il vaudra toujours mieux commencer par être « clair et distant », le plus régulièrement possible au cours de la relation professionnelle.
C’est bien cette distance « juste professionnelle », visant d’abord la clarté sur les interactions, qui permettra à chacun au travail de trouver une place moins angoissée dans les relations professionnelles. La proximité, si on juge qu’elle devient souhaitable, ne viendra qu’ensuite progressivement, à doses homéopathiques.
La bonne gestion, vaguement contre-intuitive, peut donc s’exprimer ainsi : Pas trop de compliments avec les gens trop relationnels, pas trop de subjectivité avec les personnes trop rangées ou systématiques, pas trop de flou avec les interlocuteurs trop réservés.
Le sismographe qui s’agite n’est pas la cause de l’éruption.
Certaines personnalités deviennent, de ce fait, les marqueurs hyper-sensibles de ce que « quelque chose n’est pas encore assez clair » dans le discours, dans la situation, dans l’entreprise ou dans le monde du travail ! Leurs comportements (consistant à sur-réagir, manquer de souplesse, s’adapter difficilement) sont « sismographiques » et ne les empêchent pas d’avoir sans doute raison cependant sur chacune de ces « petites choses » qui restent anxiogènes !
Aussi, le fait de voir revenir au premier plan des conversations une personnalité difficile, qui semblait calmée, devrait à coup sûr alerter sur la source d’inquiétude qui a provoqué le phénomène. La surréaction d’une personnalité difficile, semble évidemment condamnable mais elle rarement sans objet. Avant de hausser les épaules, il y a tout intérêt à trouver l’origine de la tension tout simplement : d’où elle vient -elle ? Justement, le problème est là…
La cause exacte de cette surréaction est très probablement inconsciente ! Mais on peut parier qu’elle est liée à une recrudescence d’anxiété globale quiconcernera à terme tout le monde.
Des questions pour manager et résoudre l’anxiété ambiante
L’anxiété qui apparaît sera à interroger sous cette forme :
« En ce moment dans le groupe, l’entreprise, le pôle, l’équipe… Qu’est-ce qui est devenu moins clair ? Qu’est-ce qui est devenu moins juste ? Qu’est-ce qui est devenu moins intéressant ? ».
Dès lors, il faudra nommer la réponse ou l’hypothèse, la partager dans le groupe de référence gêné et non seulement avec l’impétrant gênant ; car cette interrogation partagée en cherchant à être résolue est propre à mener l’ambiance de travail vers « un tout petit peu moins d’anxiété » qui créera – in fine – l’amélioration du comportement des personnes dites difficiles, et du comportement de tous.
Manager des personnalités difficiles.
Une personnalité difficile n’est pas seulement quelqu’un « à calmer » ou « à contenir », mais aussi l’indicateur amont particulier d’une tension psychologique déjà là, mais non perçue encore par les autres. En l’occurrence le difficile est parfois quelqu’un qui aurait raison d’être inquiet, mais le « tort » de l’être beaucoup trop tôt ?
Retenons que l’anxiété inadaptée d’une personnalité difficile face à une situation reste un signe à interroger pour ladite situation et pas seulement le problème de son « révélateur ».
On ne sait pas spontanément manager des personnalités. Il est déjà difficile de manager tout court. Et rien n’est moins fixé que la formation à ces aspects psycho-relationnels de la gestion des hommes. On sait « par la bande » les renseignements sur les remparts psychologiques à l’anxiété. La « psychologie du management » est finalement un corpus très peu constitué.
En absence, au moins pourra-t-on retenir l’essentiel : le management ne commence pas avec la gentillesse. Faire l’effort d’être clair pour soi et pour les autres serait un principe de la psychologie de base du management.
Ces 2 attitudes (clarté – gentillesse) ne s’excluent pas du tout mais l’ordre dans lequel elles apparaissent compte vraiment : d’abord la clarté la plus forte possible dans l’entreprise et le travail, (sur les buts, les modes d’action, les contrats, les conditions, les priorités, les principes, la justice, l’équité…), seulement alors peuvent être acceptables et sans mystère, la sympathie, la facilitation, la générosité. « Faire le gentil pour ne pas être clair » serait dans l’entreprise la pire des attitudes ; cela aboutirait à faire surgir des comportements inadaptés qu’il sera trop facile ensuite d’attribuer aux troubles de personnalité de ceux qui éprouvent trop le paradoxe.
En savoir + :
- Article : Personnalités difficiles au travail : une synthèse à usage des managers
- Livre : Les personnalités difficiles ou dangereuses au travail par Roland Guinchard aux éditions Elsevier Masson
Tag : gestion des relations professionnelles; relation professionnelle toxique; les relations professionnelles dans l’entreprise; relation entre collègues de travail; relation avec son supérieur hiérarchique; une relation professionnelle; bonne relation professionnelle; relation professionnelle français comment entretenir